Gouineries chaotiques #6 Rentrée littéraire !

Bienvenue dans Gouineries chaotiques, la newsletter dédiée aux littératures lesbiennes contemporaines en France.

Je n’ai pas trop compris où était passée la fin de l’été, puis l’automne. Maintenant que l’hiver autrichien est bien installé, je me console à coups de fromage à raclette et de livres (un combo qui a fait ses preuves). J’avais des idées plein la tête de thématiques et d’interviews, mais le manque de temps, ou juste la vie de façon générale, font qu’on va laisser ça pour plus tard. Du coup, petit bilan à mi-parcours de cette rentrée littéraire lesbo-trans très (très) chargée.

Tout ce que j’ai repéré en sorties est consultable dans cet article sur mon carnet de thèse, chaque ouvrage étant accompagné généralement du résumé fourni par la maison d’édition. Je vous propose des retours sans ordre particulier, par association d’idées. Si je ne parle pas d’un livre en particulier, ici ou dans la liste sur mon carnet de thèse, trois raisons possibles : je n’en ai pas encore entendu parler (et dans ce cas dites-le moi !) ; je ne l’ai pas encore lu ; j’en ai déjà parlé dans cette newsletter. Lorsque je vous mets un lien vers une publication Instagram, sachez qu’elle contient à chaque fois plein d’extraits qui sont censés vous donner envie de dévaliser une librairie (ou votre meilleur.e ami.e ou votre amant.e).

Marcia Burnier, Hors d’atteinte, Cambourakis

Comme beaucoup de personnes, j’ai toujours hâte de découvrir les nouveaux titres publiés dans la collection “Sorcières”, dirigée par Isabelle Cambourakis. Le livre (dont on reparlera bientôt plus longuement, promis) nous immerge dans les pensées d’une femme qui, parvenue à quitter son compagnon (tristement et classiquement médiocre et insupportable), tente de se reconstruire, grâce à la montagne, grâce à la reconnexion à son corps, grâce à une chienne adoptée. Je ne peux pas dire grand-chose sur le lesbianisme, pour ne pas spoiler, mais non seulement le roman comporte donc une dimension lesbienne, mais il est aussi une critique absolument acerbe du régime hétérosexuel. Et de vraies critiques de l’hétérosexualité, ce n’est pas tous les jours qu’on en lit.

Imogen Binnie, Nevada, Gallimard, trad. Violaine Huisman

Immense coup de coeur. L’histoire d’une femme trans et lesbienne qui envoie tout bouler et part sur la route, nous embarquant avec elle. Avec aussi son parcours lesbien et trans. J’ai dit tout le bien que j’en pensais sur Instagram.

Sophie Pointurier, Femme portant un fusil, Harper Collins

Comme chez Marcia Burnier, un combo fuite de femme / nature / critique de l’hétérosexualité. Cette fois, c’est une fuite groupée, une utopie collective, celle de pouvoir monter une communauté de femmes dans un hameau dans le Tarn. Ca ne se passe pas exactement comme prévu, pour différentes raisons. C’est un roman qui fait rêver et qui donne la rage, aussi, traversé autant de références ultra-contemporaines (les collages) que de références littéraires telles que Wittig ou Herland. J’en ai parlé sur Instagram et plus longuement dans le n°111 de Jeanne Magazine.

Minnie Bruce Pratt, il/le, trad. Mirza-Hélène Deneuve, blast

Ma lecture du soir en ce moment : après une introduction plutôt théorique, on plonge dans les nouvelles très (très !) lesbiennes de Mnnie Bruce Pratt. Pour l’instant, j’aime beaucoup. La plume de l’autrice est acerbe et drôle comme j’aime, la traduction au top, et cette plongée dans tout un activisme féministe et lesbien aux Etats-Unis des années 1970 et 1980 est absolument formidable. Et puis, c’est les éditions blast : chaque sortie enflamme mon petit coeur.

Lou Eve, Sous les strates, Les escales

Le premier roman de Lou Eve, que vous avez peut-être découverte par son texte dans Nos amours radicales. La construction du récit est complexe : l’autrice nous embarque dans plusieurs époques, continents et vies à la fois. Il y a la narratrice, jeune femme qui s’égare un temps en hétérosexualité (avant de parvenir du bon côté de la force), qui est aussi adoptée et tente de reconstituer le fil de son adoption et des démarches de ses parents adoptifs et blancs. Qui est sa mère biologique, vietnamienne ? Qu’a vraiment dans la tête sa mère adoptive, française blanche ? Le roman nous présente ces trois vies qui se chevauchent et se croisent au fil des époques et des chapitres. C’est très beau, et ça fait du bien d’avoir un roman avec un personnage lesbien et racisé qui aborde en plus les questions d’adoptions transraciales.

Léa Rivière, L’Odeur des pierres mouillées, ed. du Commun

Un premier recueil, dont j’ai surtout aimé les deux premières parties, qui nous embarquent dans des rêveries lesbo-trans en pleine nature. Le “Je suis pas trans dans la forêt” me reste en tête depuis la lecture. J’en ai parlé sur Instagram.

Laure Murat, Proust, roman familial, Robert Laffont

Nerd alert : avis à mes queero-littéraires sûr.es, celui-là est pour vous. Je n’ai jamais réussi à finir Proust (je n’ai jamais fini le premier tome d’ailleurs). Non seulement Laure Murat donne envie de (re)lire Proust, mais elle en fait une lecture située, et donc forcément bien plus intéressante que celle, soi-disant neutre, de n’importe quel HSBC poussiéreux, puisque sa lecture est à la fois une lecture lesbienne, mais aussi la lecture de quelqu’une qui vient d’une famille aristocrate, s’en est détachée, et sait donc très bien de quoi parle Proust. Elle vient de gagner le Médicis de l’essai, et là aussi j’en ai parlé sur Instagram.

Aurélie Lacroix, L’unique objet de mon regard, Cambourakis

La narratrice termine en hôpital psychiatrique après une énième rupture avec la femme qu’elle aime depuis si longtemps, E. Les souvenirs remontent, elle les déroule, elle tente de mettre de l’ordre dans ses pensées et ses émotions. C’est surtout la partie sur la dépression et la clinique qui m’a interpellé, pour le réalisme de ses descriptions : on croise finalement assez peu ce genre de récits en littérature contemporaine (enfin, il y a bien tous les personnages d’hommes cishétéros dépressifs, ceux de Houellebecq en tête, mais faisons comme s’ils n’existaient pas, ça vaut mieux pour le moral).

Geneviève Damas, Strange, Grasset

Normalement, je réserve un traitement à base de mépris et d’ignorance pour les romans lesbophobes / transphobes / racistes / autres, mais celui-là m’a plus énervé que les autres dans son genre. Et puis il était finaliste du Prix Décembre, et ça m’a encore plus énervé, alors je fais une entorse à ma règle toute personnelle. Inutile de raconter l’histoire, elle est grotesque, mal ficelée et surtout extrêmement transphobe. Vous voulez savoir tout ce qu’il ne faut pas faire en termes de représentations des femmes trans ? Geneviève Damas l’a fait pour vous. Elle a en plus le culot d’insérer à la fin du livre une liste de gens l’ayant “aidée”. Beaucoup de médecins dans le lot. Coïncidence ? Bref, lisez Nevada plutôt.

Capucine Delattre, Un monde plus sale que moi, La ville brûle

On en parlera bientôt aux côtés des romans de Marcia Burnier et Sophie Pointurier. C’est l’histoire d’une jeune fille qui se lance dans la vie hétérosexuelle exactement au moment de #MeToo. Le roman a déjà beaucoup circulé, je me contenterai donc de dire : ça faisait longtemps que je n’avais pas lu de telles pages, d’une puissance incroyable sur les violences sexuelles, ou sur les violences sexistes et hétérosexuelles de façon plus générale. Comme pour Marcia, je ne peux pas trop parler du lesbianisme dans le roman sans spoiler, mais allez-y, c’est une lecture qui bouscule. En attendant de développer plus, je vous recommande la vidéo qu’a faite Azélie Fayolle avec l’autrice.

Maureen Desmailles, La Chasse, ed. Thierry Magnier

Comme le roman de Capucine, voilà un roman que j’aurais aimé qu’on me donne à lire quand j’étais ado ou très jeune adulte. Publié dans la collection l’Ardeur, estampillée Young adult, ses publications sont pourtant parfaites aussi pour un lectorat adulte. C’est l’histoire des tourbillons de l’adolescence, mais à la sauce queer, c’est très beau, ça m’a beaucoup fait penser à Sex Education. J’en ai parlé sur Instagram.

Sara Torres, Ce qu’il reste de nous, trad. David Fauquemberg, ed. La Croisée

Enorme coup de coeur. Un récit qui mêle des scènes de sexualité lesbienne d’une intensité rare et la lente agonie de la mort de la narratrice, atteinte d’un cancer incurable. Un mélange inattendu qui détonne, qui fonctionne incroyablement bien. La langue est magistrale, c’est un livre incroyable, qu’il faut absolument se procurer et dévorer, le plus vite possible. J’en ai parlé dans le n°112 de Jeanne Magazine et sur Instagram.

Voilà, avec tout ça je pense que tout le monde a de quoi faire pour un certain temps. Je reviens bientôt, soit avec quelque chose sur la médiocrité de l’hétérosexualité et le lesbianisme comme échappatoire (garanti 100% objectif) soit sur notre queen Violette Leduc. Prenez soin de vous, et n’oubliez pas de traiter les antisémites, les islamophobes, les racistes et les TERFs comme il se doit : avec dégoût et distance.

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